Mon histoire avec Matilda (Silver Dawn 1950)

Une passion dévorante

L’histoire a commencé modestement avec une Méhari Citroën que mon père avait achetée pour sa résidence de bord de mer. Découragé par les 700 km qu’il devait parcourir dans un véhicule lent et bruyant, il finit par me le donner. Rapidement, je constatais que la coque plastique n’avait pas évité la rouille au châssis. Et me voilà parti dans une restauration maison. Bon apprentissage.
Une fois le chantier terminé, je me retrouvais désœuvré avec un goût révélé pour la mécanique. Peu de temps après, je découvrais une MG TD à vendre chez un marchand breton. Ni une ni deux, l’affaire est faite et le petit cabriolet se retrouve dans ma grange. Au départ, j’envisageais une petite restauration. Mais, de fil en aiguille, le roadster se retrouva à l’état de châssis sur quatre roues. Et voilà une restauration « bolt and nut » (boulon et écrou, note de JPB) menée à bien.

Il restait de la place dans la grange. L’appétit de vieille anglaise (en tout bien tout honneur) m’était venu. De plus en plus téméraire, je me lançais dans la recherche d’une sportive de mon année de naissance. Je finis par dénicher une XK150 coupé sortie d’usine, coïncidence extraordinaire, le jour même de ma naissance. Sans coup férir, j’invitais ma sœur jumelle pour un séjour de santé. Me revoilà avec les ongles régulièrement marqués par les opérations dans les entrailles de la belle. Mais, au bout d’un temps assez court, nous avons pu, elle, ma femme et moi, partir sur les routes de Touraine en toute sécurité.

C’est alors que le démon de la voiture complexe me prit. J’avais décidé qu’après le cabriolet et le coupé, la perle de ma collection serait une berline, anglaise bien sûr ! Passant mes soirées sur les sites spécialisés, j’écartais une Riley RMA portugaise, ne pouvais conclure avec une MG SA galloise, reculais face aux complications d’importation d’une Bentley S1, laissais échapper une Rolls Silver Cloud, toutes deux « étatsuniennes ». Un voyage à Toulouse pour une belle Bentley Type R ne fut pas plus fructueux.


Notre première rencontre
Finalement, c’est chez un négociant New Yorkais que je trouvais mon bonheur début 2018 : une Rolls-Royce Silver Dawn LSBA58 de 1950. Le modèle est assez simple et les pièces détachées, accessibles. J’avais observé sur photos qu’elle avait la conduite à gauche et le compteur en kilomètres. De nombreux échanges m’avaient permis de m’assurer d’un état raisonnablement bon de la vénérable auto. Achat conclu, importateur contacté, véhicule rapatrié jusqu’au garage d’un ami mécanicien à la retraite.
En frémissant, j’ai mis le contact et... elle a démarré à la première sollicitation ! Ravie de reprendre vie, la belle nous gratifia généreusement des décibels que son échappement fatigué avait renoncé à contenir. Vérifications rapides, changement des fluides, ligne d’échappement refaite sur mesure, et nous voilà partis, ma femme et moi, pour un voyage de 500 km sous la canicule de juillet vers Agen.

Pas de climatisation mais un toit ouvrant. Le voyage à l’ancienne en somme, par les voies de traverse. Pas de chauffe, pas de tracas et un succès fou auprès de tous les usagers de la route croisés ; appels de phares de voitures de tous âges, signes de complicité des motos et même cyclomoteurs, coups d’avertisseurs tonitruants de camionneurs... Pas d’animosité pour le luxe, rien que de la sympathie pour une vieille dame. Le retour fut dans le même ton.
Depuis, l’amour semble réciproque, jamais Matilda (c’est ainsi que je l’appelle quand nous sommes seuls) ne m’a causé de chagrin. Je prends soin d’elle et elle me le rend bien, en particulier lors des sorties avec notre club tourangeau de voitures anglaises.


Je n’étais pas son premier !
J’ai peu à peu découvert son passé. Recherches sur internet, courriel à deux anciens propriétaires et au petit fils du premier. Petit à petit, avec eux, j’ai retracé son histoire.
Elle fut livrée en 1950 à un sénateur cubain du nom de Fédérico Fernandez Casas dont la famille est originaire du Pays Basque. Son petit-fils se souvient des voyages en Europe dans la Rolls qui, à l’époque était noire. Après l’arrivée de Fidel Castro, la famille dut s’exiler comme beaucoup, en Floride. Quelques temps après, M. Casas et sa Rolls rejoignirent l’Europe pour s’établir en Espagne. C’est à Madrid, où mourut son propriétaire, qu’on retrouve la voiture.

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Matilda et ses premiers propriétaires durant un european tour dans les « early fifties »

Négociée par un ancien de l’US Air Force pour le compte d’un jeune avocat de Philadelphie, elle retraverse l’Atlantique en 1967, après avoir changé de couleur et d’intérieur (eh oui, c’est là qu’elle hérita de ses garnitures en vinyle, « nobody’s perfect » !). Elle est ensuite revendue en 1969 à un entrepreneur de Pennsylvanie pour rester dans la même famille jusqu’en 2017.

Dans la vente qui suit, elle est dépouillée de son lot de bord et de toutes ses factures ainsi que de sa radio pour terminer chez le négociant New Yorkais avant de traverser une dernière fois l’Atlantique.
En prenant possession de ce vieux pur-sang, je n’imaginais pas la particularité de ces véhicules d’exception. Ils emmènent avec eux des bribes de souvenirs d’une époque surannée où la petite histoire croise la grande.

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Ma femme et moi avons recueilli Matilda pour une retraite heureuse 

En tant que propriétaire, j’ai le sentiment d’avoir un devoir, celui, de préserver un véhicule sans en masquer les marques du temps. C’est en effet celles-ci qui en font tout l’intérêt.

Eric Lacroix,

juillet 2020