Silver Shadow 1972

Le débat entre l’inné et l’acquis n’est pas récent, et est parfaitement illustré par le film de 1983 « Un fauteuil pour deux » (Trading Places) dans lequel Eddie Murphy passe en quelques semaines de clochard à millionnaire à la suite d’un pari entre deux frères (par ailleurs propriétaires d’une somptueuse Phantom V). 

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Dans ma famille, à part un oncle collectionneur reconnu de Dinky Toys, personne ne s’intéresse à l’automobile. Comment expliquer alors, si ce n’est par l’inné, que certains de mes plus anciens souvenirs datent de l’époque où, avant l’âge de cinq ans, je harcelais ma mère quand elle me promenait en poussette pour qu’elle me dise la marque et le modèle des voitures que l’on voyait dans la rue ?
Adolescent, j’ai pu parfaire mes connaissances et développer mes phantasmes automobiles en compagnie d’un certain Pierre d’Allest ; ce n’est pas un poster de Lamborghini Countach que j’avais dans ma chambre, mais un poster de Corniche. Mais je voyais les Rolls-Royce et les Bentley comme des objets aussi désirables qu’inaccessibles réservés à une élite, jusqu’à ce que j’effectue un premier séjour linguistique en Angleterre à la fin des années 70. Les Silver Shadow pullulaient dans les rues de Londres... J’ai alors réalisé que les Rolls pouvaient être des voitures familiales, et que leurs propriétaires pouvaient aller chercher leur pain ou partir en vacances avec. Mais ce n’était toujours pas pour moi et je me demandais (sérieusement) si j’aurais un jour la chance, ne serait-ce qu’une fois, de rouler en Rolls.
Les étapes ont été longues à franchir ; j’ai enfin pu un jour poser mon séant sur les fauteuils d’une Silver Spirit neuve exposée avenue Kléber, puis être invité à bord d’une Bentley T effectuant une manœuvre dans un garage. Quels événements !

Les choses se sont précipitées en 1985 lorsque j’ai participé à la création d’une société de Grande Remise, Service Prestige, dont l’une des clientes était Diana Ross. Mrs Ross habitait alors au 11 avenue Montaigne à Paris ; elle nous avait confié la garde de sa Silver Spur noire avec intérieur rouge que nous utilisions à sa demande pour la véhiculer et pour conduire ses filles à l’école américaine de Saint-Cloud (oui, Saint-Cloud, pas Silver Cloud !).
C’est donc Diana Ross qui m’a offert mon « dépucelage » en me donnant l’occasion de conduire sa Silver Spur alors que je n’avais que 20 ans. Ont suivi une seconde Silver Spur qui a rejoint la flotte de Service Prestige et dans laquelle je me suis marié, une Bentley T conduite occasionnellement, et une Bentley Continental cabriolet appartenant à la famille Bongo. Puis une longue traversée du désert jusqu’en 2013, date à laquelle un ami m’a passé le volant de sa Silver Spirit. Rechute immédiate...
Jacques Séguéla avait dit en 2009 : « Si on n'a pas une Rolex à 50 ans, on a raté sa vie ». Entre Rolex et Rolls, seules quelques lettres changent ; je me suis donc mis en quête d’une Silver Shadow que j’ai finalement acquise en 2015 : un modèle de 1972 ayant passé toute sa vie en France.

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Deux ans plus tard, j’atteignais mon Graal automobile avec une Corniche 1982 d’origine californienne ayant appartenu au styliste de mode Fred Slatten, créateur de « platform shoes » et fournisseur de nombreuses stars du show-business... dont Diana Ross.
La boucle était bouclée...

Benoit DUJARDIN,

Juillet 2020